Winston et tous les habitants du village vivent désormais au rythme des saisons, dans un monde de vie sobre, protégeant l'environnement et devenant auteur de sa vie.
Les collectivités sont devenues autonomes en ville dense [Verrou 3 LIEN] et les individus vivent au gré des climats. Sans délocalisation de la production, les individus ne peuvent tout simplement pas dépasser ce que leur écosystème offre en eau, en vent ou rayonnement solaire dans les campagnes.
Tout le monde se souvient pourtant, comment il y a 30 ans, l'humanité aurait pu perdre ce combat mais est finalement parvenu à radicalement transformer son rapport au vivant et notamment à ses ressources vitales, l’eau et l’énergie. A l’époque, il suffisait de payer une petite somme d’argent pour surconsommer. Nous étions face à de nombreuses crises insolubles dans notre paradigme de consommation. L'énergie venait à manquer et les nouvelles propositions de centrales nucléaires, parc éolien off-shore ou la réouverture de centrale à charbon n'auraient fait que retarder l'inéluctable crise. Les réseaux électriques étaient saturés et les réseaux d’eau n’étaient plus entretenus. L’eau potable a également commencé à manquer. Les nappes et les cours d’eau se sont progressivement asséchés. L’État a petit à petit déserté ses responsabilités d’organisation énergétique et hydraulique au profit d’entreprises privées. Le marché ne permettait dès lors pas aux classes les moins aisées et même aux classes moyennes de vivre avec une hygiène correcte, ni de se chauffer décemment. Les citoyens, refusant de sombrer dans une concurrence de tous contre tous pour leur survie provoquée par les privatisations successives, ont décidé de s’encapaciter.
Ils ont créé de nouvelles petites unités de production [Verrou 4 LIEN] pour regagner en pouvoir, en indépendance et en compétence.
Plutôt que de suivre les solutions technopositivistes de nouveaux réseaux comme la 6G+ permettant de généraliser encore plus
la prolifération d’objets connectés consommateurs [Verrou 5 LIEN] en énergie et en ressources matérielles, l’humanité a fait le choix radicalement inverse. Refusant la confusion fallacieuse de leurs contradicteurs entre débranchement et isolement sociale, elle a fait remarquer, qu’au contraire, le lien social a préexisté à ces infrastructures, et que justement, leur généralisation a plus eu tendance à produire une société individualiste, rationalisée et fonctionnalisée, où la sociabilité a dépéri. Ces militants rétorquaient que l’autarcie (sociale) est, contrairement à l'intuition commune, plus la conséquence du modèle individualiste produit par le réseau lui-même.
À présent consciente des effets rebonds et des usages incorporés vecteurs de destruction de l’environnement et des savoir-faire individuels que véhiculent les réseaux, l’humanité a décidé de s’en séparer durablement. Analysant de façon critique l’extension tentaculaire des réseaux depuis deux siècles, les individus ont finalement pris conscience de tous les problèmes causés par le branchement et la connexion généralisée. Les dérives qu’ils pouvaient penser propre à la 6G+ se posaient déjà concernant les réseaux électriques ou hydrauliques. Comprenant le caractère fondamentalement ambivalent des réseaux, car ceux-ci définissent la circulation des personnes, des biens, des fluides, des informations et façonnent en profondeur la ville et donc la société, l’humanité réalise qu’il s’agit en réalité de l’élément central et déterminant de tous projets urbains. En effet, les oppositions déjà présentes à l’époque concernant les sources de productions d’énergies se sont également portées sur les formes de distribution, qui, dès lors, faisaient partie du débat public. Ainsi, le réseau a cessé d’être considéré comme un système neutre. Il devenait plus clair que ce dernier possédait un certain nombre d’usages incorporés, qu’il suggérait nécessairement certains imaginaires culturels et modes de vie et qu’il promouvait une certaine structuration du territoire et donc une organisation politique spécifique de la société. En fait, le réseau, comme tout système sociotechnique, possède des externalités positives et négatives indissociables. Ce dernier crée à la fois l’abondance et la dépendance, et permet de faire “connecter-circuler” mais aussi et surtout de “quadriller-contrôler”. Plus concrètement, la généralisation des réseaux s’opposait à la volonté de l’humanité de préserver son environnement, et donc à la mise en œuvre d’un mode de vie sobre d’une part, et à son ambition de liberté et d’indépendance, donc à l’encapacitation des hommes d’autre part. Les réseaux avaient enfin pour particularité d’engendrer de nombreuses inerties, rendant difficiles les contestations et l’opposition à ce système technique et modèle de société.
Parmi les arguments ayant convaincu l’humanité de changer de trajectoire sociotechnique, on trouve ceux du Parti de l’environnement. Celui-ci dénonçait l’artificialisation des sols et la consommation de matériaux toujours croissantes que suscitent les réseaux. Par ailleurs, ces derniers permettaient un mode de vie foncièrement destructeur en occultant les ressources de la consommation et en provoquant une électrification massive des usages. En outre, les infrastructures de la connexion n’obligent plus les individus à adapter leur consommation aux ressources locales d’un écosystème. Cela concourt à un mode de vie énergivore et foncièrement anti-écologique. Les réseaux étaient alors envisagés comme condition de possibilité de la surconsommation et donc comme condition d’impossibilité de la sobriété.
On trouvait aussi des arguments du côté d’associations contestataires de la société capitaliste et industrielle. Ceux-ci mettaient en avant la désencapacitation individuelle que provoquait le réseau en rendant le citoyen dépendant d’un système dont il ignore le fonctionnement et qu’il ne sait pas réparer. Le réseau était également pointé comme responsable de l’illusion topique rendant les ressources de la consommation abstraites et désincarnées, plongeant le consommateur dans un état d'hébétude et d’inconscience (ce qui rejoint d’ailleurs les critiques environnementalistes). Enfin, le réseau provoquait la perte de savoir-faire divers comme celui de récupération d’eau, de la production d’énergie mécanique humaine, de s’adapter aux saisons, de conserver ses aliments ou de cultivation, en plus de supprimer des alternatives comme les fontaines publics ou les lavoirs.
Enfin, des acteurs et des élus ont critiqué le caractère inertiel et donc problématique du développement des réseaux. En effet, à cause de structures nombreuses, complexes et au final difficilement modulables ou retirables tout en se révélant particulièrement contraignantes en termes d’aménagement du territoire, les réseaux se rendaient responsables de nombreuses inerties matérielles. Ils devenaient également source d’inerties économiques, car les investissements dans ces infrastructures sont immenses. L’effet parc se faisait prégnant et l’installation, l’entretien ou encore le démantèlement des réseaux se comptaient en plusieurs dizaines de milliards d’euros.
La bataille culturelle gagnée, un grand changement d’échelle a pu s'opérer dans l’ensemble de la société qui a découvert une nouvelle manière de se structurer
en décentralisant les pouvoirs [Verrou 6 LIEN]. Les entreprises se sont dispersées en petites structures, souvent coopératives. Leur fonction consiste davantage à former les citoyens et les communautés plutôt qu'à les rendre dépendant de leurs services. Le pouvoir politique se trouve dès lors entre les mains d’assemblées locales. Les citoyens peuvent subvenir à leurs besoins individuellement et les communautés décident de ce qui n’est pas nécessaire à la survie (loisir, liens avec l’extérieur, entraide, etc.). Les individus ont ainsi pu sortir de l’illusion topique des réseaux et retrouver un pouvoir d’action grâce à leur débranchement des systèmes techniques.